Des loyers à glacer le pour cent

Des loyers à glacer le pour cent

Article repris de l’infolettre #155

De nos jours, il n’y a plus de stéréotypes qui vaillent et c’est bien correct ainsi… Vous souvenez-vous du personnage de Dany Turcotte qui personnifiait un propriétaire de bloc ? Hé bien, disons qu’on s’écarte de plus en plus de ce portrait d’un investisseur immobilier 😅. Il doit bien évidemment rester quelques-uns de ces proprios « à tout faire » encaissant des loyers à l’arraché, mais disons que le domaine a pas mal évolué.

Sommes-nous plus érudits ? Ou plus sophistiqués ? On aime plutôt l’idée qu’avec les responsabilités liées au développement d’un parc immobilier sain et prospère, il vaut mieux être bien au fait de ce qui impact notre réalité locative… Et oui, ça implique parfois d’avoir à se relever ses manches. 

Dans cette réalité remplie de joies et de bonheur (et de défis aussi) viennent les comités logements. Ahhh, les comités logements… Ces derniers ont justement repris leurs offensives en marge des Rendez-vous de l’Habitation. Ceux-ci réclament un gel de loyer (bien entendu) pour 2023 et aussi une plus grande ouverture de la part de la nouvelle ministre responsable de l’Habitation. Ils rappellent notamment le maintien des loyers instauré en Ontario l’année dernière.

L’APQ relève que certaines associations ont même envoyé des courriels prônant les droits des locataires directement à des propriétaires… Ils sont définitivement prêts à tout pour le bien de leur mission.

La solution passe-t-elle par le contrôle des loyers ?

Mais revenons au gel des loyers instauré en 2020-2021 en Ontario. La mesure a pris fin le 1er janvier 2022, pour faire place à une augmentation maximale de 1,2 % des loyers imposée à la grande majorité des unités locatives. Ce pourcentage grimpera d’ailleurs à 2,5 % en 2023, ce qui demeure bien en dessous de l’inflation. Décidément, il n’y a que dans le monde du logement « légiféré » où les prix restent au plancher.

Il va sans dire que cette mesure plutôt radicale est loin de faire l’unanimité. Nos vétérans-lecteurs se souviendront peut-être du cas de la ville de Berlin, déjà abordé dans une infolettre passée. Justement, voici un article qui fait état de comment leur tentative de gel de loyer s’est terminée…

En gros, Berlin a maintenu les loyers en 2020, et a annulé la politique 1 an plus tard. La mesure a causé 2 énormes impacts négatifs : l’offre de logement disponible a chuté de près de la moitié, et un « marché gris » a émergé dans lequel les propriétaires, voulant compenser la mesure, chargeaient ridiculement trop cher pour des électros ou des compléments au logement. Toujours selon cet article, la solution à des loyers élevés n’est pas un contrôle de prix, mais bien une offre plus abondante et compétitive. 

« Rent control can’t fix housing problems. It’s one of the few issues economists overwhelmingly agree on. But deregulating real estate markets can. »

Les effets pervers du contrôle des loyers

Mais bien qu’on sache déjà tout ça, du côté ontarien, on semble vouloir faire croire à une réalité parallèle. Cet article (exemple parfait de militantisme) fait état des vertus du contrôle des loyers.

Tirant son inspiration d’un rapport produit par… un comité logement, Scott Leon, un recherchiste, affirme que la disponibilité des logements n’est historiquement pas affectée par un contrôle des loyers. On a lu ce rapport, mais nous avons trouvé une autre étude encore plus complète de l’université de Stanford.

On y traite du cas de San Francisco et des impacts du contrôle des loyers. L’étude compare la situation dans les parcs locatifs touchés par la réglementation avec ceux non concernés, entre autres. Nous retenons plus particulièrement la baisse de 15 % de l’inventaire d’unité disponible frappant les zones contrôlées. Nous vous laissons le soin de lire les autres arguments dans l’écrit de 46 pages.

En fait, même le rapport de l’association de locataires n’infirme pas l’argument stipulant que le contrôle augmente les conversions d’unités… LOL. L’étude de Stanford est assez complète, mais on voulait compléter l’analyse en regardant nos données pour l’Ontario.

Ce que les statistiques disent

En effet, nous notons une hausse de 15,17 % de la disponibilité des appartements existants et une hausse de 29,03 % des délais d’affichage sur ce marché entre 2020 et 2021. Pour les condos locatifs existants, typologie de logement très populaire chez nos voisins de l’Ouest, on observe une baisse de 7,88 % et une hausse de 28,57 % pour ces deux mêmes métriques.

Une partie de l’accroissement de la disponibilité peut être expliqué par le taux de migration interprovincial en Ontario, qui se situait à -1,25 % entre 2020 et 2021, puis à -3,16 % entre 2021 et 2022. Il y avait donc plus de citoyens quittant l’Ontario pour une autre province que l’inverse. Dans la même lignée, cet article mis à jour le 6 novembre dernier démontre que le Québec attire de plus en plus de citoyens venus de l’Ontario. Tant qu’à y être, les taux d’inoccupation vont également dans le même sens. Ceux-ci sont passés de 2 % en 2019 à 3,2 % en 2020 puis 3,4 % en 2021. Tous ces indicateurs confirment que la disponibilité accrue des logements n’est vraisemblablement pas causée par le contrôle des loyers.

De plus, le taux de migration était positif pour la province entre 2015 et 2020. Notre petit doigt nous dit que la COVID-19 y est pour quelque chose.

Revenons à notre réalité locale. À l’instar de nos comparses ontariens, la disponibilité des appartements existants au Québec continue de diminuer. Malgré une hausse de 7,85 % des loyers marchands selon nos données, la disponibilité a diminué de 9,74 % entre 2020 et 2021. L’augmentation des loyers au Québec est d’ailleurs la plus importante enregistrée au Canada. À titre comparatif, nous avons observé des hausses de 3,46 %, 3,90 % et 1,37 % en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta.

Comment aide-t-on le secteur de la construction ?

Le manque de logement est un problème qui devrait en principe continuer de s’accentuer à moyen terme. C’est du moins ce que nous pouvons y lire dans cet article. En effet, les mises en chantier devraient décroître à un rythme prévisionnel de 14 % cette année. La hausse de 33 % des coûts de construction depuis le début de la pandémie n’aide décidément pas.

Toujours selon l’éditorial, le nouveau président de l’APCHQ, Maxime Rodrigue, y va de quelques propositions pour contrer la fameuse crise du logement. Du lot, nous avons relevé deux points dont on veut surtout vous faire part.

Le premier concerne des allègements réglementaires afin d’accélérer les mises en chantier. Tiens tiens, la déréglementation revient encore dans le discours ! À vrai dire, plus on veut exercer un contrôle, plus on crée des problèmes. Il s’agit d’un concept de base !

Le deuxième élément a été abordé dans le téléjournal de Radio-Canada du 2 novembre dernier. C’est aussi un sujet qui est revenu à quelques reprises durant le Sommet de l’Habitation. On parle ici de la densification douce, un concept centré sur l’habitation accessoire. Pour résumer, il s’agit de créer un logement supplémentaire sur son terrain (un étage de plus ou une petite habitation dans la cour). Quelques villes commencent d’ailleurs à revoir leur réglementation en ce sens, pour favoriser ce nouveau type de logement. Déréglementation qu’on disait !

Un second souffle pour la productivité ?

Les problèmes de réglementation sont une partie importante du puzzle. Cependant, comme nous mentionnons dans une précédente infolettre, la productivité du secteur de la construction est toute aussi importante. Et à ce niveau, on a eu une bonne nouvelle cette semaine. 17 000 nouveaux emplois ont été ajoutés dans le secteur de la construction, soit l’augmentation la plus marquée de l’ensemble des industries. 

C’est dans la plus récente annonce sur le taux de chômage au Canada que vous retrouverez plus d’informations sur le sujet. Brièvement, nous avons relevé que le taux canadien est resté le même qu’en septembre pour le mois d’octobre, soit 5,2 %. Ce maintien survient malgré une hausse de 0,6 % pour l’emploi (108 000 emplois). Pour le Québec, le taux est passé de 4,4 % à 4,1 %.

Comment l’emploi au Canada peut-il avoir augmenté alors que le chômage n’a pas bougé ?  On explique cette situation par le fait que plusieurs personnes se retrouvent inactives après avoir été au chômage (lorsque les prestations s’arrêtent) et d’une autre part, du fait de la croissance de la population active. 

Sinon, 1 ménage canadien sur 3 trouve difficile ou très difficile de répondre à ses besoins financiers. Ceux-ci incluent les dépenses en matière de transport, logement, nourriture, vêtements et autres.

On précise que les travailleurs dans les services d’hébergement et de restauration (43.2 %), du transport et de l’entreposage (42.4 %), et du commerce de détail (42.4 %) étaient les plus à risque d’éprouver des difficultés financières en octobre.

Au moins, on gagne plus d’argent. Les salaires horaires moyens ont en effet augmenté de 5.6 % en octobre. Le problème est que l’indice des prix à la consommation a pour sa part crû de 6.9 %. On peut facilement comprendre l’insécurité qui s’installe chez les ménages.

La morale de l’histoire

Américains-Canadiens/Québécois-Ontariens/Proprios-Locataires… À chacun sa réalité ! Mais parfois, il faut simplement tenter de se positionner dans les souliers des autres pour mieux comprendre nos réalités bien différentes. Même si ça implique de parfaire un personnage en mettant des souliers de « Joker » ténébreux haha !  

Bref, tout le monde mérite d’avoir un toit convenable, mais une réglementation trop lourde et quasi abusive apporte son lot de conséquences. Un simple gel des loyers (rien de créatif ici) n’apporte effectivement rien de bon dans le marché. 

On est loin d’un modèle comme celui de Vienne, qui avait justement été présenté durant le Sommet de l’Habitation. On ne le répètera jamais assez, mais plus de contrôle amène plus de problèmes.

Bon succès !

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